la montre
je regardai ma montre je regardais
espérant qu’un jour un moment quelque chose
se dévinerait mais toujours c’étaient les mêmes
trajectoires mêmes heures où
visqueux lourd le temps coulait péniblement
le temps suintait des murs comme une eau grasse et
lourde et toujours c’était ce temps de l’hiber
nation serrant nos vies entre parenthèses
assoupi sans illusions j’attendais et
c’était toujours le temps de l’hibernation
je savais que demain et le lendemain
de demain le temps s’épaissirait que
les heures aux heures comme une brume épaisse
s’agglutineraient d’absence coagulant
emprisonnant l’attente faible de ma
vie pourtant je regardais ma montre encore
rempart ultime au lent figement du temps
le malheur
ma chaise avait un pied
bien plus court que les trois autres
et la salle était comble
je savais que d’un instant
à l’autre je pouvais
tomber perdre l’équilibre
m’étaler devant la
foule dense des gens qui
consommaient je risquais
le ridicule j’avais
peur je me sentais rouge
avec un mouchoir déjà
humide je devais
éponger la sueur il
faisait encore chaud
sur mon visage il m’était
impossible de prendre
mon verre de me cacher
derrière la boisson
ridicule sur ma chaise
cette situation
symbolisait mon malheur
la carte du tendre
dans ses regards dans
l’inattendu de son sourire
dans tous ses sourires
dans la raideur de son regard
je lus son désir
qu’il me suffirait d’un signe d’un
geste que son corps
était prêt à me recevoir
qu’il me suffirait
qu’il me suffisait de vouloir
s’installa la crainte
une stupide appréhension comme
un refus en moi
de renouer avec tout un
passé de briser
cette tranquille somnolence
je craignis soudain
le souvenir inévitable
de vieilles souffrances je
sortis sans un mot de la chambre
dans ses yeux un bref
éclat d’égarement fusa
les étoiles
il y avait
des étoiles des étoiles en nombre
infini et
c’était absurde à crier absurde
cette beauté
c’était d’une absurdité hostile
comme si la
nuit voulait me remettre à ma place
et les étoiles
dessinaient le vide de ma vie
je désirais
que le jour se lève j’avais hâte
que le soleil
gommât toute cette plénitude
je pensai qu’au
moment où les étoiles mourraient
je serais là
dans la rue quand toutes ces étoiles
disparaîtraient
je serais là me retrouverais
je craignais moins
pourtant le ciel étoilé que l’aube
la vie
on n’est rien
on meurt on ne laisse aucun signe
nulle trace
aucun signe de soi la vie
n’est rien d’autre
que ce passage solitaire
au milieu
d’un infini de solitudes
d’un moment
où chacun ne pense qu’à soi
on oublie
on croit que l’amour vit d’oubli
l'aube
l’aube était
grise et je ressentis de la pitié
sans raisons
sans raisons aucune j’eus pitié d’elle
l’aube était
froide et je n’eus plus envie de marcher
la venue
du jour mettait dans la rue entre nous
une trêve
et j’éprouvai comme une envie de larmes
c’était triste
cette aube grise sur ces rues c’était
un instant
lâche l’abandon à l’usure du
temps des gens
peu nombreux passaient sortant des maisons
ils allaient
vite se pressant vers l’aube grise et
j’ignorai
si elle seule ne m’attirait
plus ou bien
si c’était l’univers en général
la jeunesse
assis
perdu dans ma tristesse ce jeune corps
splendide
en toute ignorance traversait ma vie
vers lui
je compris que ma quête tendait toujours
capté
par la douceur satinée de sa peau
limpide
la pureté absolue de son regard
j’aurais
tout donné pour une caresse une seule
au risque
même fugitif d’en porter le regret
l’amer
le sens de ma vie était là je voulais
le don
définitif dans l’abandon à l’amour
alors
je vis que son regard ne me voyait pas
lointaine
sa jeunesse dressait un mur sans fissures
la parole (2)
je savais l’inutilité des échanges
c’était
une fatalité comme si les mots
eux-mêmes
étaient pleins d’erreurs ne disaient qu’ambigu
mensonge
on essayait cependant quelquefois des
paroles
désespérant vaguement d’y sceller un
accord
je la regardais me demandant si elle
savait
si elle aussi enfermait l’avenir dans
ses phrases
devant l’évidence il fallait déchanter
parler
ne pouvait plus jamais nous servir à rien
sinon
à donner force à notre incompréhension
totale
tout mot conduisait à un définitif
silence
la pluie
longtemps nous avons marché terre et pierres
des chemins
creusés les roches nues étaient grises il
y avait
beaucoup de bois des terres labourées
des prés nous
avons traversé un bosquet jauni
alors c’est
alors que la pluie se mit à tomber
la pluie froide
nous avons croisé un groupe de scouts
des garçons
de dix ou douze ans ils marchaient vite ne
regardaient
rien toutes choses étaient tristes un grand ciel
doucement
gris devenait de l’eau et nous allions
si vite et
tout autour de nous semblait si immense
tellement
vide transis nous perdions tout désir
d’exister
le soleil (2)
pourquoi es-tu si cruelle j’au
rais tellement
voulu t’aider et je délirai
pensai elle est
odieuse le soleil entrait dans
la chambre il
éclairait la couverture rouge
du lit il lui
donnait une couleur de flamme il
illuminait
je délirai pensai pourquoi es-
tu si cruelle
pourquoi le soleil entrait dans la
chambre dorée
il enflammait toute la couver
ture rouge et
j’avais une intense envie de pleurs
car le soleil
entrait dans la chambre incendiait
la couverture
je me glissai au bord du lit et ce
fut un effort